Wind Power de Joahnn de Meij

Wind Power de Joahnn de Meij (2015)

(lui, un étui de guitare, elle, un attaché-case ; ils se rencontrent, elle lui bouche le passage)

LUI – (souriant, puis de plus en plus agacé)

ELLE – (regarde l’étui) Musicien ?

LUI – (un temps) Pardon ?

ELLE – Non, je vois votre… Vous êtes musicien ?

LUI – Pas du tout.

ELLE – C’est marrant que vous soyez musicien, parce que moi justement je travaille dans l’éolienne.

LUI – Ah oui ? Dans l’éolienne ? (se reprenant) Non mais je ne suis pas musicien.

ELLE – Et quoi comme musique, par exemple ? Plutôt gaie ? Plutôt triste ?

LUI – Comment ? Mais je ne sais pas…

ELLE – Ah mais, vos propres compositions alors ? Vous avez plusieurs cordes à votre… (désigne la guitare) Mais vous êtes l’homme de ma situation monsieur.

LUI – Je ne crois pas non, désolé…

ELLE – Vous vous y connaissez en vent ?

LUI – Je vous en prie…

ELLE – Mais c’est intéressant le vent, ça change tout le temps.

LUI – Vous savez, moi je suis de Grenoble. Alors pour le vent…

ELLE – Non c’est passionnant. Vous n’auriez pas fait musicien je suis sûr que vous auriez travaillé dans l’éolienne.

LUI – En fait moi je suis plus dans la comptabilité.

ELLE – Mais je parle, je parle… Que je vous explique mon problème.  On m’a collé une mission un peu délicate, sous prétexte que j’ai fait des bonnes recettes cette année, bref. Là où je bosse, c’est sympa vous voyez, c’est le beau lieu de travail et puis l’éolien : c’est le futur. Mais le problème dans l’entreprise, c’est le silence.
Parce que faire de la musique pour entreprise, c’est un truc auquel on ne pense jamais. Et finalement, l’éolien c’est un secteur très peu représenté artistiquement.

LUI – C’est vrai qu’il n’y a pas de vrai répertoire musical c’est dommage. Ah si, comment est-ce qu’il s’appelle, le néerlandais…

ELLE – l’interrompant) Comprenez qu’on veuille se faire de la réclame. Alors comme je vois que vous êtes musicien.

LUI – Je ne suis pas plus musicien que tout à l’heure, madame.

ELLE – Parce que je me disais, vous me composez un petit quelque chose. Un petit air, quelque chose de frais. Quelque chose qui sonnerait bien devant un comité d’administration.

LUI – Désolé, je ne peux rien pour vous, vraiment.

ELLE – Allez faites un effort, c’est bien payé.

LUI – Je dois vous laisser. Il faut que j’aille à la banque.

ELLE – Et qu’est-ce que vous allez jouer à la banque ?

LUI – Retirer de l’argent, je vais retirer de l’argent.

ELLE – Mais c’est que vous en vivez ? C’est un luxe, ça. C’est ce qui me plaît dans mon métier, rencontrer des artistes. Alors vous pensiez à quoi, comme morceau ?

LUI – (énervé) Un morceau de bois.

ELLE – (ailleurs) Des cuivres aussi. Enfin mettez un peu de tout. Alors. Le directeur comptait payer pour quelque chose dans les… cinq mille, six mille notes ? Partons sur six mille. Si vous faites plus, on complétera.

LUI – (ferme) C’est tentant mais non merci.

ELLE – Bon, vous avez besoin de temps je comprends, voici ma carte, appelez-moi dès que vous voulez me dire oui, bonne journée.

(elle quitte la scène)

LUI – (reste seul en scène, pose et ouvre l’étui face à lui. Serviette autour du cou. Sort un sandwich) (incrédule) Musicien… (mord dedans) (noir)

Présentation de « Wind Power » de Joahnn de Meij écrite en 2015 avec la collaboration de Louise Morel et Léo Papet