altérité
Mon rapport à la littérature est un rapport d’altérité. Rapport double.
Comme matière étrangère, et qu’il faut rendre étrangère à elle-même. Qu’il faut altérer, et tirer hors d’elle. Déformer à ne plus l’en reconnaître. Il faut défigurer la langue.
« Sortir de la philosophie par la philosophie » — Gilles Deleuze
J’écris pour chercher dans la langue le point de fusion où elle se tend et se tord. Où la métaphore quitte le giron de cette comparaison plate et abstraite pour devenir convulsion du discours. Où ce « comme » écolier et théorique (qui rapproche par la pensée ce qui reste désespérément éloigné) devient voisinage réel, rencontre dans le texte. Impliquant que le plan de la langue se contorsionne, se déforme.


Tout travail de la langue est pétrissage du chaos. Pliage, abaissage, et repliage. Jusqu’à ce que les horizons coïncident. Creuser son cratère dans la matière, et y travailler jusqu’à produire d’un chaos un cosmos. Jusqu’à faire rendre à la matière littéraire ce qu’elle ne voulait pas rendre.
Je n’écris que pour exprimer l’inexprimable. En tant qu’inexprimable. Que pour penser l’impensable, en tant qu’impensable. Que pour supporter l’insupportable, en tant qu’insupportable. Autant de tentatives qui veulent, en leur fond, inscrire l’impossible dans le possible. En tant qu’impossible. Qui veulent en garder la saveur, l’étrangeté, l’altérité radicale. L’intensité vibrante.
intensité
Loin d’un schéma de pensée trop machinal qui, à entendre « exprimer l’inexprimable », comprend : « bien sûr, rendre l’inexprimable exprimable ». Qui emporte avec lui une certaine image de ce que comprendre veut dire. Sous laquelle rôde l’envie de « ramener l’inconnu au connu ». De reconnaître l’inconnu. Rapporter à la grisaille de nos catégories ce qui portait en soi la puissance pour les déchirer. Pour ouvrir l’horizon. Pour transfigurer le monde.


humour
« Se moquer de la philosophie c’est vraiment philosopher » — Pascal
L’intensité demande d’écrire comme on marche sur la crête d’une montagne. Flanqué d’abîmes. Avec lesquels il faut savoir jouer. Il faut mimer sa chute. Pantomimer sa perte. L’humour est un point de rupture, et le rire au sérieux ce que le plaisir est au désir : un très bel échec. Une agréable solution de continuité. Une satisfaction. L’humour, c’est la plume qui fait craqueler le sérieux. Et l’intense s’abîme sans légèreté.