Le sable crisse sous ses genoux. Elle ignore quelques coquillages échoués après ses chevilles, ses bras griffés par la brise. Elle est seule, seule avec la petite musique échappée de ses mains. Ses pleurs chantent une autre rive, où chaque matin la Terre accouche d’un soleil. D’autres campagnes, noyées de rizières. Son pays.
Je me rappelle, le vent démêle les souvenirs dans mes cheveux. De l’autre côté du monde, il est là mon village. Rien ne nous sépare qu’un océan de vie.
Et puis la mer…
Ses pensées nagent dans le ressac et le ressouvenir.
Ce jour-là de décembre, maman, les mains jointes comme on y cacherait un moineau. Qui s’entrouvrent pour laisser, au-travers, briller mon trésor.
Une boîte à musique, en léger bois de cèdre. Qui gazouillait sous mes doigts et les yeux de mes parents. Fredonnant sa chanson pour se donner du courage, si frêle et fragile que j’aurais brisé ses notes de ma poigne d’enfant.
Au village après la pêche, les maisons mouillent dans la nuit poissonneuse, la chaume dans les étoiles. Les barques trempent et craquent dans leur sommeil. L’oreille contre le lit, elle les écoute rythmer, encore et toujours, sa mélodie.
Ma mélodie. Cette comptine, c’est ma terre.
Et puis la mer qui s’enroule…
Et lui, un jour, dans la poussière terreuse du chemin entre les jardins de pierre. L’Américain. Les yeux ronds et doux. Mâchant un brin d’orge. Marchant sans la voir, qui ne voyait que lui. Qui voyait son destin lentement passer devant elle. L’arrêtant d’une main, prenant ce bras blond et blanc. Lui, perdu, jusqu’à ce geste pour qu’elle lui apparaisse. Pour qu’il sente ses flâneries sans but avoir atteint leur destination. L’averse noire et drue de ses cheveux jetait des reflets de cobalt autour d’elle.
Les fleurs de pommiers m’avaient négligemment fait une couronne.
Et puis la mer qui s’enroule entre les plis…
Mes noces, presque déjà au goût d’adieu. Ce paquebot lourd et loin de mon village. Bramant au travers des brumes.
L’orage qui grondait sa colère jusque dans son crâne.
Notre voyage, c’était ma déchirure.
Dans sa malle, elle emporte le thé et l’encens. Elle laisse son cœur au pays.
Puis ce fut la côte Ouest. Ce fut la grande ville. Bruissante et rugissante.
Une ville debout. Dressée contre moi. Fouettée par le torrent des voitures, les bouches de métro crachant des gerbes de passants, les gratte-ciel aux fenêtres aveuglantes. Il était toujours là, j’étais après son bras malgré la houle.
Et puis la mer qui s’enroule entre les plis mousseux de ma mémoire
Les papillons fuient entre les érables, le vent sur leurs pas.
Comme ils doivent autrement chanter, les cyprès chez moi. Sous ce séquoia centenaire, j’ai refait ma vie. Notre vie. Dans mon cœur soufflent deux feux.
Ses yeux frémissent de larmes. L’ondée emporte les derniers moineaux du jour, ne chuchotant plus pour personne. Elle demande encore une dernière fois.
Encore une dernière fois s’il-te-plaît.
Et quand les lames tonnent et tintent, ses larmes se teintent des couleurs du doux carillon.
